CONSPIFIC à la croisée des complots

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Retour du colloque CONSPIFIC qui pour la première fois explorait, sous l’impulsion de Chloé Chaudet, autrice du brillant Fictions du grand complot, aidée de Sylvain Delouvée (Le complotisme) et de Marie-Eve Carignan (Mon frère est complotiste avec David Morin), éminents spécialistes du fait complotiste, pour version psychologie sociale, et communication, pour le mode de fabrication des récits de complot.

La réunion de spécialistes du récit, de la littérature, de la culture, de la communication et des imaginaires a permis de se rendre compte de la diversité des histoires de complots, dans les romans, dans les fictions en général et leur imprégnation dans le monde. L’idée de saisir la réalité des complots à travers leur aspect proprement narratif et fictionnel, ou fictif, permet également de comprendre l’attrait qu’ils exercent, la séduction romanesque de celui qui découvre les vérités cachées et cherchent à sauver ces pauvres moutons qui n’ont pas encore été éclairés. Ces récits sont fait pour attirer et donner envie d’y croire, en donnant dans tous les cas cette impression de participer à une révélation sur un monde autrement inexplicable. Et ça, si ce n’est pas de la bonne trame romanesque !

Deux complotistes de roman en flagrant délit de changer secrètement la face du monde

Composition et génération Midjourney

Et le rapport avec le futur ?

Nous sommes sur Esprit Futur, d’accord pour la littérature et la fiction mais que vient donc faire le complot sur ce site ? J’entends votre question et je vous en remercie. Très simple, nous avons proposé une communication, qui a été acceptée, merci à eux, sur la partie complotiste de la science-fiction, en particulier sur celle qui présente le monde systématiquement sous la coupe d’un système technocapitaliste aux intentions aussi destructrices que masquées grâce aux merveilles de la science.

Bien que ça ne soit pas le cas de toute la science fiction, et que la science-fiction n’est pas complotiste en soi, il y a néanmoins l’idée, nous l’avons déjà évoquée, qu’il s’agit d’une littérature des peurs technoscientifiques (il faut mettre techno partout, ça rend bien compte de la froideur inhumaine du propos). Plus que ça, une partie de la SF s’est bâti dans une logique à la fois contestatrice, critique et progressiste sous l’impulsion des penseurs socialistes et marxistes. Toujours pas de complot pourtant. Jusqu’à là, non, mais comme le remarque Boltanski, entre critique sociale et complot, il n’y a parfois qu’un tout petit fossé et la science-fiction fabrique de nombreux ponts qui permettent de le franchir.

Nous avons exploré les trois thématiques de l’entrisme (par les extra-terrestres, symboles des envahisseurs possibles comme les communistes aux USA, autant que des manipulations gouvernementales), du contrôle des esprits et de la surveillance généralisée. Même si le thème n’est pas le complot (il l’est parfois), la SF use et abuse de ces tropes en mêlant anticapitalisme, rébellion anti-système, contre pouvoir à l’abrutissement des masses, au risque de montrer trop fréquemment un futur dystopique dominé par des entités secrètes qui dirigent le monde dans un objectif clairement totalitaire. Cet aspect politique et idéologique, rendu crédible par des artefacts technologiques, sert de justification à toutes les peurs envers tout système de gouvernance privée ou publique, à tord ou à raison.

Les héros deviennent alors des super lanceurs d’alerte sous la forme d’un monomythe à la Campbell, le héros versus le système, celui/celle qui a ouvert les yeux sur ce que était caché, sur l’illusion toute dickienne du monde, parce que les puissants, l’élite, les industriels nous mentent. Terriblement cyberpunk, la science-fiction utilise alors ce trope du technogotha, cette obsession du capitalisme en tant qu’entité suprême de la domination, pour définir l’ennemi de demain, et les objectifs cachés de cette entité, l’asservissement et l’uniformisation des masses de moutons qu’elle amène à l’abattoir. La narration est rodée et fonctionnelle, l’ennemi défini et reconnaissable, et la technologie, issue du progrès qui nous prive de notre humanité, est précisément ce qui rend possible les plans de cet ennemi, par l’entrisme donc mais aussi le simulacre, l’illusion, le contrôle des esprits et la surveillance (ci dessous l’intro devenue réalité, ou presque, de la série Person of interest), reléguant les vrais humains, pensant, aimant, artistes à l’état de parias en marge du « Système » garant des seuls restes d’humanité en ce bas monde.

Loin de nous de penser que cette critique est infondée, bien entendu, ce serait faire preuve de négligence, mais sa répétition obsessive, depuis les années soixante, le ronronnement de l’illusion des marges, pourrait aussi bien former le lit d’une pense complotiste permanente pour ceux qui se délectent à s’imaginer en rebelles du système devant leur roman préféré sans pour autant donner corps à une critique sociale plus construite, conclusion à laquelle arrivait déjà Kornbluth en son temps.

La version longue de cette intervention paraîtra en chapitre bientôt, un peu de patience !

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