J’ai quelque part sur une de mes étagères le numéro de Paris Match de 1969. Cette couverture représente, a représenté, non pas l’aboutissement d’une aventure, mais le début d’une exploration. La découverte de tout un univers fait de nouvelles civilisations, d’espoir de nouveaux territoires à défricher, de nouvelles civilisations à rencontrer. La fiction du rève de planètes autour d’étoiles lointaines était déjà bien ancré, et les émissions comme Temps Futurs ou L’avenir du futur embarquaient une génération dans des rèves de voyages galactiques qui n’ont finalement jamais eu lieu.
Une histoire de la conquète spatiale, écrit par Irénée Régnauld, consultant et fondateur d’un collectif technocritique, et Arnaud Saint-Martin, sociologue, nous propose une exploration de l’espace sous l’angle sociopolitique. L’idée qui fonde le livre, pour faire court, est de relire le développement spatial sous un angle propagandiste d’une part et d’utilisation capitaliste de l’espace d’autre part. Pour ceux qui auraient peur d’un biais particulier, rassurez-vous, les auteurs sont suffisamment malins pour ne pas céder à la facilité de l’attaque systématique et unilatérale.
Parcourir le XXième siècle en observant l’obsession politique, industrielle et un peu humaine quand même pour l’espace, en dépassant le simple compte-rendu historique est passionnant et donne à voir, à travers une base d’informations solides, les motivations des gouvernements et des grandes sociétés privées, pour les satellites comme pour les vols habités. Le choix de mélanger différents niveaux d’analyses, entre données historiques et sociologiques, produit parfois un peu de confusion et des aller-retours temporels qui peuvent nuire à la clarté, mais l’ensemble est indéniablement stimulant sur le plan de la construction d’un zeitgeist au travers des productions artistiques, de loisirs et des rhétoriques idéologiques.
Si les livres sur la conquète spatiale sont nombreux, peu s’intéressent à la manière dont les fascinations et convictions ont été façonnées dès les années 30 par les américains comme les russes pour promouvoir l’intérêt des sommes faramineuses engagées dans les programmes spatiaux. Cette histoire permet également d’aboutir jusqu’à la commercialisation de l’espace pour le loisir ou la justification d’envahir les orbites de millers de satellites. Le plus intéressant probablement est de suivre le montage au cours de près de huit décennies de la transformation d’un rêve humain en objet géopolitique et industriel pour lequel ont été utilisées toutes les techniques fictionnelles aussi bien sur l’espace que ceux qui s’y rendaient.
En complément, ces imageries et tentatives d’adhésion ont été finement décrites par le rôle joué par Heinlein .
D’autres ouvrages passionnants décrivent plus largement les imaginaires précisément utilisés dans l’histoire du vol spatial ou même du rapport entre la fiction et la science quant à l’espace .
Et au passage, retrouvez Elsa de Smet et Fleur Hopkins Loféron sur ce thème dans un podcast de La science CQFT
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-science-cqfd/imaginaires-lunaires-3078910